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Les petites histoires de Bibliopolis : De Buonaparte et des Bourbons, par Chateaubriand (mars-avril 1814)

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Brochure originale de papier rose


Les petites histoires de Bibliopolis


Je suis toujours indécis — depuis plus de trente ans — pour savoir ce qui me fait le plus ... : une brochure d’époque non rognée ou une superbe reliure en maroquin ?

Je ne sais toujours pas. Mais j’avoue qu’ici… ça me fait sacrément ... !


Cette brochure, imprimée à la hâte chez les frères Mame, rue du Pot-de-Fer n°30, aurait été tirée à plus de 100 000 exemplaires dès les premiers jours de sa parution (entre le 31 mars et le 5 avril 1814). Peut-être les tout premiers exemplaires n’ont-ils circulé qu’à partir du 3 avril. Prudence ? hasard ? coïncidence ? Chateaubriand était trop fin stratège pour laisser tant de place au hasard.


Le contexte : Napoléon Ier signe son abdication inconditionnelle le 6 avril 1814, à la suite de la défaite de la campagne de France et de l’entrée des Alliés dans Paris.

Le Sénat l’avait déjà déchu le 3 avril, et les maréchaux avaient pressé l’Empereur de céder pour éviter la guerre civile.

Son idée première — transmettre la couronne à son fils, le roi de Rome — est rejetée : les puissances exigent une abdication pure et simple.

Le traité de Fontainebleau du 11 avril lui laisse son titre impérial, la souveraineté de l’île d’Elbe et une rente annuelle de deux millions. Pas si mal, en somme, pour un exilé !

Mais Napoléon, acculé et désespéré, craignant d’être séparé de Marie-Louise et de son fils, décide dans la nuit du 12 au 13 avril de tirer sa révérence à sa manière : il avale une dose du fameux « poison de Condorcet », censé lui garantir une sortie digne et rapide. Mauvais choix de fournisseur : le poison s’avère d’une paresse exemplaire. L’Empereur, en pleine crise de vomissements, découvre qu’il a davantage hérité d’un laxatif d’époque que d’un poison foudroyant. Entre deux haut-le-cœur, il dicte ses dernières volontés à Caulaincourt et s’indigne : « Qu’on a de peine à mourir ! » La formule aurait de quoi faire sourire si elle n’émanait pas d’un homme qui avait expédié tant d’autres vers la mort sans tant de complications gastriques. Le docteur Yvan, sommé d’en fournir une seconde dose, refuse : il n’est pas un assassin — ce qui, venant d’un médecin de Napoléon, a quelque sel. Pris d’une crise de nerfs, il s’enfuit à cheval et on ne le revoit plus. Pendant ce temps, l’Empereur agonise, vomit, maugrée et refuse de signer le traité. Finalement, sa constitution de fer l’emporte : le poison capitule avant lui. Napoléon se relève, s’éponge (le front) et reprend ses activités. À Fontainebleau, même la mort savait attendre ses ordres.


Pendant ce temps, à Paris, Chateaubriand publie son brûlot politique De Buonaparte et des Bourbons, un texte incandescent dont on disait qu’il avait « fait plus de mal que cent mille hommes ». Certains l’attribuent à Napoléon lui-même, d’autres à Louis XVIII — peu importe : la formule dit tout. Le pamphlet renverse l’Empereur par la seule force des mots : « Le poids des mots ! Il n’y avait pas encore le choc des photos ! »


Chateaubriand y écrit :

« On a vanté l’administration de Buonaparte : si l’administration consiste dans des chiffres… certes Buonaparte était un grand administrateur ; il est impossible de mieux organiser le mal, de mettre plus d’ordre dans le désordre. Mais si la meilleure administration est celle qui laisse un peuple en paix, qui nourrit en lui des sentiments de justice et de pitié, qui est avare du sang des hommes… alors le gouvernement de Buonaparte était le pire des gouvernements. »


Le succès est immédiat : une seconde édition paraît dans la première quinzaine d’avril, une troisième suit peu après, puis les réimpressions provinciales se multiplient — Dijon, Lyon, Marseille, Bordeaux — jusqu’aux éditions étrangères, de Bruxelles à Londres. Chateaubriand triomphe. Napoléon part sur son île.

La suite, on la connaît : le 1ᵉʳ mars 1815, Napoléon revient pour cent jours… puis pschitt ! This is the end, my friend… Enfin presque : tout finit toujours par recommencer (souvent avec les mêmes ou tout comme).

Tout cela pour vous dire que cette petite brochure, tirée à très grand nombre mais restée dans son jus d’époque, procure une de ces bouffées de plaisir bibliophilique (et historique) qu’il serait coupable de refuser. C’est chose faite, de mon côté.


P.S. Cet exemplaire en brochure d’époque (papier rose) vient d'être retrouvé en (ex) Prusse, du côté de Seubersdorf en Bavière, non loin de Nuremberg, et plus près de l'Autriche que de l'île de Sainte-Hélène !

Destin des livres… quand ils nous tiennent !


P.S. 2 J'allais oublier ! tout le monde propose cette brochure tant il y en a ! (enfin pas tant que ça en brochure d'époque finalement). Elles sont presque toujours présentées comme l'édition originale ... et pourtant d'originale il n'y a que celle-ci ! En 87 pages avec cette adresse des Frères Mame et la vignette de titre aux fleurs de Lys couronnées.


Bertrand Hugonnard-Roche

Publié le lundi 10 novembre 2025 pour le Bibliomane Moderne

Librairie L’Amour qui bouquine

 — livres rares | rare books

 
 
 

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