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Histoire d'une belle paire de fesses ou « Le joli cul de ma Cécile » - en mots et en images !


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Mademoiselle O'Murphy peinte par François Boucher, 1752, huile sur toile, 59 × 73 cm, Alte Pinakothek, Munich.



Il est des morceaux d’anatomie qui valent à eux seuls l’immortalité : ainsi du fessier rond et nacré de Marie-Louise O’Murphy, campé pour l’éternité par François Boucher dans sa fameuse Odalisque blonde. Ce petit corps à figure enfantine, alangui sur le ventre, jambes ouvertes sur un sofa, n’offrait pas seulement au regard du roi et des connaisseurs un joli minois, mais surtout la croupe la plus convoitée du XVIIIᵉ siècle. Casanova, qui s’y connaissait en voluptés picturales comme en voluptés réelles, ne s’y trompa pas : « O-Morphi », fit-il écrire au bas de la toile, ce qui, précisait-il, « n’est pas homérique, mais n’en est pas moins grec. Il signifie Belle. »


Belle, certes, et d’origine irlandaise, fille d’un militaire entré au service du roi de France. Mais surtout fine élève du Parc aux Cerfs (*), où Mme Bertrand enseignait à ses pensionnaires plus d’art érotique que d’art du point de croix. Ainsi formée, la petite Morphise, âgée de quatorze ans à peine, devint la maîtresse-enfant de Louis XV, et sut admirablement tirer profit de ses charmes. Les chansons populaires elles-mêmes célébraient alors « Le joli cul de Cécile », poème grivois où la rime avoue sans détour ce que le pinceau de Boucher suggère avec plus d’élégance.


Rares sont ceux qui n’ont pas fixé leurs yeux sur ce postérieur d’exception avec un mélange d’admiration, d’envie et de trouble. Et de songer qu’à quinze ans à peine, Louise O’Murphy pouvait déjà, sans forcer, revendiquer le titre de « putain par famille et par état ». Plus tard, mariée à un financier fortuné, elle finit ses jours dans l’opulence, riche et considérée, preuve qu’une belle paire de fesses, parfois, mènent plus sûrement à la réussite qu’un beau blason.


Une carrière rondement menée, dirait-on. Trois siècles après, la postérité n’a rien oublié du plus célèbre fessier du règne de Louis XV.


Nous avons retrouvé la chanson « Le joli cul de ma Cécile » dans un roman pornographique intitulé « L’enfant du bordel ou les Aventures de Chérubin » (**) attribué à Pigault-Lebrun (1753-1835) et publié pour la première fois en 1800-1801 (2 parties en 1 volume in-12, avec 6 figures libres). Ce petit livre de scandale a été réimprimé plusieurs fois au cours du XIXe siècle. Dans la réédition donnée « Sur l’imprimé de Paris MDCCC, Le Mans, à l’enseigne des citoyens du Maine », sans date (1866 à Bruxelles) l’on y trouve cette chanson à la page 18.


Nous la reproduisons ci-dessous :


Si la déesse des amours

Voulait obtenir notre hommage

De ma Cécile, pour toujours,

Elle emprunterait le visage ;

Si parfaits que soient les appas

Que lui donne un crayon habile,

Son cul si vanté ne vaut pas

Le joli cul de ma Cécile.


Interprète du sentiment

Qui réside au fond de mon âme,

Ma bouche sur ce cul charmant

Déposa cent baisers de flamme ;

Vous qui nous vantez la vertu,

Si votre âme reste tranquille,

Ah ! c’est que vous n’avez pas vu

Le joli cul de ma Cécile.


Objet charmant et précieux,

Cécile, garde-toi de croire,

Qu’un jour ce cul délicieux

S’effacera de ma mémoire :

Mais s’il faut renoncer pourtant

A mon existence fragile,

Grands dieux ! que j’expire en baisant

Le joli cul de ma Cécile.


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Page 18 de l'édition « Sur l’imprimé de Paris MDCCC, Le Mans, à l’enseigne des citoyens du Maine », sans date (1866 à Bruxelles)


Avec cette chanson qui circule à la même époque où a été réalisé le tableau de François Boucher, le joli cul de Marie-Louise O’Murphy est définitivement voué à un culte artistique et littéraire qui touche à l’immortalité vénérable.


Gageons qu’il existe bien d’autres culs immortels à célébrer ! Trouvons les !



Bertrand Hugonnard-Roche pour le Bibliomane moderne

Publié en ligne le lundi 25 août 2025



(*) Ce que l’on appelle, avec une pointe d’hypocrisie pudibonde, le Parc aux Cerfs, n’était nullement un jardin animalier, mais bien l’annexe discrète des voluptés royales. Institué vers 1746 sous la houlette de la fameuse Madame Bertrand, intendante sévère et entremetteuse patiente, des jeunes filles, souvent recrutées dans les familles modestes, recevaient une « éducation » qui tenait moins du catéchisme que de l’art du plaisir. Elles y apprenaient, dit-on, les rudiments de la broderie… mais surtout les différentes postures destinées à divertir le roi. De ce pensionnat singulier sortirent plusieurs favorites éphémères, parmi lesquelles Marie-Louise O’Murphy, la plus emblématique. Véritable séminaire charnel au cœur de Versailles, le Parc aux Cerfs reste, dans la mémoire collective, le symbole du libertinage monarchique poussé à son point de raffinement extrême. Ce parc royal véritable bordel royal à l’usage d’un seul monarque prit fin en 1765 lorsque la Du Barry eut conquis la première place dans le coeur (et le lit) du roi. On a beaucoup exagéré sur le nombre de jeunes filles qui y passèrent : certaines sources parlent de dizaines, voire de centaines, ce qui relève sans doute de la légende noire du libertinage royal. Mais quelques noms émergent, comme celui de Marie-Louise O’Murphy, qui incarne à elle seule ce sérail secret.

Le Parc aux Cerfs, mi-conservatoire de voluptés, mi-scandale d’État, demeure dans l’imaginaire collectif le symbole du libertinage monarchique à son apogée — et l’un des stigmates qui, avec d’autres, précipitèrent la chute d’un prestige royal déjà fort entamé.


(**) Paru en 1800, L’Enfant du bordel attribué avec quasi-certitude à Pigault-Lebrun est l’un de ces romans à la verdeur provocatrice qui firent la gloire de ce « moraliste en goguette » du Consulat. Sous un titre qui sent le souffre et annonce la couleur, l’auteur nous entraîne dans une fable sociale où le rejeton d’une maison de tolérance devient le miroir grinçant d’une société qui cache ses turpitudes sous le voile de la vertu. Pigault, maître dans l’art de l’ironie gauloise, dénude les hypocrisies avec la même verve qu’il décrit les coulisses de la débauche. Ce livre, reçu comme un scandale à sa sortie, valut à son auteur la réputation d’écrivain immoral — ce qui, dans la France postrévolutionnaire, équivalait presque à une garantie de succès. On lit aujourd’hui L’Enfant du bordel avec un double plaisir : celui du récit libertin qui grince, et celui du témoin précieux d’un temps où la littérature osait encore choquer pour instruire. « Théodore, ivre de desirs, s’élance sur sa jolie proie, la prend dans ses bras, la place sur le pied du lit, et veut faire pénétrer la flèche de l’amour dans l’étui que lui a destiné la nature. Mais de vives douleurs font disparoître le nuage de bonheur qui environnoit Cécile. Des cris firent arrêter Théodore ; il parvint, à force de caresses, à engager Cécile à supporter encore un essai. Et se précipitant avec fureur dans le détroit du plaisir, il brisa tous les obstacles, malgré les gémissemens et les plaintes de sa complice. Bientôt, cependant, les cris devinrent moins violens : Cécile parut éprouver une étincelle du plaisir qui dévoroit son amant. Ses yeux se troublèrent, et une copieuse éjaculation de part et d’autre consomma le sacrifice. Ah ! que vous êtes cruel, dit Cécile en reprenant ses sens : étoit-ce pour me plonger dans le précipice que vous me témoigniez tant d’attachement. Théodore la rassura par ces caresses brûlantes, si persuasives quand on aime. Bientôt, oubliant et les douleurs passées et les chagrins à venir, ils perdirent de nouveau dans les bras l’un de l’autre le sentiment et la vie. » (extrait du chapitre 2)

 
 
 
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