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Guillaume Dubufe, peintre, contacté dès la fin de l'année 1888 pour illustrer "Le Rêve" d'Emile Zola


Guillaume Dubufe (1853-1909), peintre français. Photo Félix Potin.



Très intéressante lettre autographe écrite à ... l'éditeur Ernest Flammarion ? ou ... Emile Zola ? ou quelqu'un d'autre proche de ces deux personnes.


Transcription :


Paris ce 4 janvier [18]89

Cher Monsieur,


Laissez-moi vous répondre tout de suite que l'idée d'illustrer le "Rêve" [d'Emile Zola], me séduit absolument. Si je puis faire là une oeuvre d'art tout à fait consciencieuse, j'y mettrais tout mon coeur (mon coeur d'entêté idéaliste qui a éprouvé quelque malin plaisir à ce qu'on pensât à lui en pareille occurence). Et puisque c'est à vous sans doute que je dois ce plaisir, je veux d'abord vous en remercier, quoi qu'il advienne de ce charmant projet. Au point de vue pratique, je partage à priori vos idées pour la division et le nombre des illustrations, et si vous voulez j'irai en causer avec vous mardi ou mercredi prochain de 5h à 6h. Cela vous convient-il ? Si oui, je cours chez vous, enchanté de parler avec vous de mon rêve, et surtout de vous serrer la main. Bien à vous.

G. Dubufe fils


Cette missive est intéressante à plus d'un titre.


Le Rêve de Zola paraît tout d'abord en feuilleton dans la Revue illustrée entre le 1er avril et le 15 octobre 1888. Il est publié en volume en librairie chez Charpentier le 13 octobre 1888. Zola rédige le Rêve entre novembre et décembre 1887 pour la préparation (dossier préparatoire, plan, personnages, fiches, etc) et entre le 5 janvier et la mi-août 1888 pour la rédaction.


En 1892 paraît en livraisons la première édition illustrée du Rêve de Zola. C'est Carlos Schwabe qui sera finalement choisi pour exécuter cette illustration symboliste.


Voici ce qu'écrit à ce sujet Jean-David Jumeau-Lafond :


"Ayant voulu faire, selon ses propres mots, "la part du Rêve" dans la série des Rougon-Macquart, il était normal qu'Emile Zola souhaite confirmer ce choix dans la première édition illustrée en volume du Rêve, qui devait paraître en 1893 (i.e. 1892). Il n'est donc guère surprenant que l'écrivain et l'éditeur Flammarion aient cherché un dessinateur capable de compléter le texte par une illustration qui tranche, elle aussi, avec le reste de l'univers zolien. Loin des milieux naturalistes, c'est chez un jeune artiste suisse vivant depuis peu à Paris, Carlos Schwabe (1866-1926), qu'ils trouvèrent ce qu'ils cherchaient, ce mélange de féerie et de naïveté susceptible de caractériser par l'image un texte qui devait lui-même pouvoir être mis "entre toutes les mains". Schwabe, né en 1866, et donc tout juste âgé de 25 ans, était à l'aube de sa carrière mais celle-ci devait être fulgurante à la faveur d'un événement qui eut lieu en mars 1892 alors qu'il travaillait encore à l'illustration du Rêve : le premier Salon de la Rose + Croix du Sâr Péladan, manifestation idéaliste qui fit courir tout Paris et que Zola lui-même visita, se déclarant "intéressé" et "charmé". L'écrivain avait déjà pu voir les œuvres de Schwabe, mais il fut sans doute confirmé dans son jugement en voyant au Salon les aquarelles pour L'Evangile de l'Enfance, véritable "clou" de l'exposition ; simplicité du regard mais dessin aigu et primitif conféraient à ces œuvres une sorte de "naïveté voulue", selon les commentateurs, et un archaïsme moyenâgeux, non pas dans le genre du pastiche si fréquent à l'époque, mais dans une sorte d'authentique mysticisme visionnaire. Contrairement à ce qu'on a pu dire parfois, Zola appréciait donc l'art de Schwabe ; n'écrivit-il pas à Flammarion qu'il "tenait beaucoup" à l'artiste pour ce travail, ajoutant : "je suis certain que nous aurons avec lui une œuvre très artistique et très originale". On peut affirmer que Zola ne s'était pas trompé, non seulement parce que l'illustration du Rêve conçue par Schwabe occupe une place à part dans le corpus des images zoliennes, mais aussi parce qu'en effet l'artiste poussa très loin l'originalité, donnant naissance à une création à part entière et qui, selon les critiques, révolutionna l'art de l'illustration, faisant du Rêve une référence pour l'art symboliste. Certes, Schwabe ne put achever son travail, non par mésentente avec Zola, mais parce que, surestimant ses forces, et souhaitant produire une suite marquante, il prit un retard qu'il ne put rattraper. Sa longue et unique lettre à Zola montre ce souci "de faire aussi une œuvre" et de se démarquer par rapport à l'illustration contemporaine, banale et souvent commerciale. L'achèvement du travail par Lucien Métivet, artiste médiocre et sans grande imagination, donne comme une démonstration exemplaire de ce vœu, la comparaison des deux illustrations étant accablante pour Métivet. Il est cependant exact qu'Emile Zola fut surpris par le travail de Schwabe, y découvrant "tant de choses qu'il ne se souvenait pas d'avoir mises dans le livre" ; c'est que Schwabe, artiste symboliste et visionnaire, ne se contenta pas de répéter la narration par une image descriptive. Il interpréta, transcrit, spiritualisa les objets, matérialisa les pensées, extrapola et symbolisa par un monde onirique, merveilleux et étrange, les ressorts psychologiques et le sens profond du texte ; ne parvient-il pas donner un visage à l'Hérédité, ce thème majeur du monde zolien, allant ainsi très au-delà de ce que l'écrivain avait imaginé possible ? Par la création d'un monde imaginaire, situé en marge de l'action, mais l'expliquant et lui donnant sens, Schwabe fit de l'édition illustrée du Rêve un véritable dialogue entre le texte et l'image. Il jeta ainsi bas les conventions du genre au profit d'une nouvelle conception : on ne le lui avait pas demandé, ainsi qu'il l'écrivit lucidement à Zola, mais il en avait fait une question d'honneur et avec raison si l'on en juge par le succès du livre et sa postérité. Zola, dans Le Docteur Pascal, aura beau s'inspirer de dessins de Schwabe pour fustiger l'idéalisme et la fuite devant le réel, il est peu probable qu'il eut à regretter d'avoir choisi le jeune artiste, lequel, mieux que quiconque, avait pu l'aider à réaliser son souhait : "montrer que tout est un rêve"." (Jean-David Jumeau-Lafond, Dossier Bnf (en ligne), Le Rêve illustré par Carlos Schwabe).


Nous ne savons pas (encore) pourquoi exactement finalement Guillaume Dubufe est passé à côte de son Rêve et à côté du Rêve de Zola.


Fait intéressant à noter et qui nous laisse penser que le destinataire de cette missive pourrait-être Emile Zola : le père de Guillaume Dubufe, Edouard Dubufe (1819-1883), peintre reconnu, est fortement critiqué par Emile Zola dans « Mon Salon », L'Événement, 30 avril 1866. Émile Zola critique ses coteries comme membre du jury du Salon. Il est lié avec son beau-frère l'architecte Jean-Baptiste Pigny et beaucoup de ses confrères. La petite phrase de son fils Guillaume Dubufe, placée entre parenthèses, dans notre missive "(mon coeur d'entêté idéaliste qui a éprouvé quelque malin plaisir à ce qu'on pensât à lui en pareille occurence). En effet, la situation ne manque pas de sel de demander, au fils de celui qu'on a étrillé vingt ans plus tôt, d'illustrer un livre de celui par qui la critique est arrivée. Il y a fort à parier que Guillaume Dubufe (âgé de 13 ans en 1866) a entendu parler de cette critique sévère par un jeune Zola (âgé de 26 ans en 1866 au moment de la critique du Salon).


Bref, cette petite pique de Dubufe fils nous laisse penser que cette missive est addresée soit à Emile Zola lui-même soit à quelque de son entourage très proche, très au courant de cette affaire de critique.

Quoi qu'il en soit on sait par ce courrier conservé que dès janvier 1889 l'éditeur (E. Flammarion ?) et l'auteur du Rêve, Emile Zola, avaient le projet avancé de faire illustrer ce roman. Il faudra attendre finalement trois ans avant que cette édition ne paraisse comme on la connait.


Que pensez-vous de tout cela ?


Excellente journée à tous,

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