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La petite histoire d'Amédée Sudre (1845-1910) relieur à Saintes (Charente-Maritime anciennement Charente Inférieure). Reliure sur les Misérables de Victor Hugo (Paris, Pagnerre, 1862, 10 vol. in-8)

Dernière mise à jour : 22 avr.

Une simple petite étiquette collée dans un livre peut faire ressurgir une petite histoire humaine oubliée. C'est ce qui s'est produit avec l'acquisition récente d'un exemplaire de l'ouvrage français le plus connu du XIXe siècle : Les Misérables de Victor Hugo (édition de Paris, Pagnerre, 1862, 10 volumes in-8). Cette série joliment reliée (ce qui a attiré notre attention) était très bien conservée et nous avons eu le plaisir de constater que ces 10 volumes portaient tous la petite étiquette d'un relieur dont nous ne savions rien : A. SUDRE || Relieur || à SAINTES. Mesurant 23 x 14 mm seulement, imprimée en bleu, en voici la reproduction photographique.


Etiquette du relieur contrecollée au verso de chaque premier plat des 10 volumes

de l'édition originale parisienne des Misérables de Victor Hugo (Paris, Pagnerre, 1862)



Et à partir d'une petite étiquette anodine nous essayons de savoir qui était ce relieur que Fléty ne mentionne pas dans son Dictionnaire des relieurs de 1800 à nos jours (1988).


Amédée Sudre était né le 2 juillet 1845 au Maine Bertrand à Saint-Palais-sur-Mer, 17380, Charente-Maritime, Poitou-Charentes, France. Il était le fils de Guinot SUDRE (1810-1848) et Marie GÉNÉRAUD (1814-1848), morts la même année à quelques mois d'intervalle (accident ?).


Il s'était marié à Saintes, avec Florence Lardy, le 18 juin 1872 et était alors déjà déclaré relieur. Quand a-t-il commencé son activité de relieur, nous ne le savons pas exactement. A-t-il relié les Misérables dès leur publication au printemps-été 1862 ? C'est une possibilité, mais ils ont pu tout aussi bien être reliés dans les 2 ou 3 années qui suivirent (soit entre 1864 et 1865).


Amédée Sudre a été déclaré en faillite le 16 août 1884 (Journal des faillites et des liquidations judiciaires françaises etc ... publié par Henry Defert, Jules Genets, etc, Paris, Larose et Forcel, 1884). Au moment de cette faillite il demeure rue d'Alsace-Lorraine à Saintes.


Enfin, d'après nos recherches, Amédée Sudre est signalé décédé dans le journal La Charente du 8 janvier 1910 à l'âge de 64 ans. Il est noté qu'il était alors domicilié Rue Chalais (à Cognac).


Que lui est-il arrivé entre temps ? Nous savons très peu de choses.


Nous apprenons dans la presse spécialisée qu'il est déclaré en séparation de bien (d'avec son épouse) le 30 janvier 1885. Nous lisons aussi dans un journal du 15 juillet 1904 qu'Amédée Sudre, relieur de 59 ans publie une promesse de mariage entre lui et Anna-Maria Steffen, sans profession, à Cognac. Leur mariage est annoncé dans le journal La Charente du samedi 30 juillet 1904. Il se sont mariés le 23 juillet. On peut donc supposer que son activité de relieur a été poursuivie après sa faillite de 1884 et ce très certainement à Cognac depuis 1904 et ce jusqu'à sa mort en 1910 (ce qui est confirmé par son compte-rendu d'obsèques - ci-dessous). Anna-Maria Steffen meurt en 1927 et est inhumée dans le cimetière de Pantin. Elle avait 83 ans.


Et c'est tout ce que nous savons !


Somme toute une vie d'homme laborieux assez banale dont la grande histoire n'a rien retenu ou presque. Nous restent ces travaux de reliure qui semblent assez peu communs sur le marché des livres d'occasion aujourd'hui. Quid de son travail de relieur ? Les 10 volumes des Misérables que nous avons sous les yeux sont solidement reliés en demi chagrin rouge. Les dos présentent des nerfs avec des fleurons dorés (était-il aussi doreur ?), les plats sont recouvertes de papier qui imite la percaline (rouge également), les doublures et les gardes sont en papier marbré, les tranches ne sont pas dorées (blanches). En résumé une reliure solide, décorative et honnête sans être d'une exécution luxueuse mais non grossière néanmoins. Les corps d'ouvrages sont bien établis. Les volumes nous sont parvenus en 2025, soit environ 160 ans plus tard, en bel état de conservation comme nous avons dit.


Sans doute un jour prochain nous tomberons sur d'autres ouvrages reliés par cet honnête ouvrier comme on aime dire des gens qui font bien leur travail, sans vagues et sans excès, dans un sens comme dans l'autre. Le monde est rempli d'honnêtes ouvriers oubliés.


Toute autre découverte à son sujet nous permettra d'enrichir cette courte notice.


>>> Ajouté le 22 avril 2025

(informations trouvées en ligne par notre ami chercheur Jean-Marc Barféty)


Obsèques. — Les obsèques civiles du citoyen Sudre, relieur, place Chalais, qui a succombé dans la nuit de vendredi à samedi, ont eu lieu dimanche au cimetière du Breuil.

Un grand nombre d'amis de ce modeste travailleur ont accompagné le défunt à sa dernière demeure.

Sur la tombe, M. E. Nouveau a parlé au nom de la Libre-Pensée.

Après avoir exposé les idées de tolérance et de solidarité des libres-penseurs qui voudraient voir prévaloir partout le règne de la justice sociale, M. E. Nouveau a démontré combien de progrès restaient à accomplir dans la Société pour chasser la misère et pour éteindre l'ignorance.

Il a rappelé que Sudre croyait à la survivance de l'esprit. Il invoquait souvent ceux qu'il avait aimés et ceux-ci, paraît-il, répondaient à son appel. On respectait ses idées, car après tout, le mystère de l'au-delà reste encore à éclaircir. La science n'a pas dit son dernier mot.

Et les libres-penseurs qui ne croient pas à la survivance de l'âme laissent à tous les êtres humains leurs illusions.

Toutefois, ils font la guerre à la superstition, ils veulent émanciper tous les esprits afin que l'homme puisse employer tous ses efforts à conquérir son indépendance, à être maître de ses actes.

Puis il a fait l'éloge de Sudre, travailleur acharné, qui est mort à la tâche. C'était, dit-il, un noble cœur, non content de travailler pour lui et sa compagne, il élevait deux de ses petits enfants : une petite fille de douze ans, un petit garçon de onze ans.

Je les ai vus sanglotant auprès du lit de leur grand-père, puis ils s'approchaient de leur vieille grand-mère et ils disaient : « nous ne voulons pas te quitter. »

C'était navrant.

Et la pauvre veuve nous disait plus tard en pleurant aussi : « ces chers petits, je les aime bien, je pensais les voir grandir auprès de moi jusqu'à ce qu'ils aient appris un métier, mais je suis sans ressources... »

Ah ! ceux qui trouvent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes auraient dû venir avec moi dans la chambre mortuaire, ils auraient pu comprendre qu'il y a bien des lacunes sociales à combler.

Qui donc voudra s'intéresser au sort de ces deux charmants enfants ?Qui donc empêchera la douloureuse séparation de demain ?Qui conservera ces deux jeunes êtres à l'affection de celle qu'ils aiment ?Celui-là, quel qu'il soit, aura bien mérité de l'humanité.

Et le bon père Sudre pourra dormir en paix son dernier sommeil. Son vœu suprême aura été réalisé.

Puis une dame de la Société des Spirites a prononcé des paroles émouvantes. Et la foule émue a défilé devant la famille.


Paru dans La Constitution des Charentes, Journal Républicain, numéro du Dimanche 2 et Mercredi 5 janvier 1910.


Son décès y est annoncé quelques lignes plus loin dans les annonces de l'état civil :


Amédée Sudre, relieur, 64 ans, veuf en premières noces de Florence Lardy, époux en deuxièmes noces de Anna-Marie Steffen, rue Chalais.


Bertrand Hugonnard-Roche

Publié le 18 avril 2025 pour le Bibliomane moderne



Reliure signée A. SUDRE à Saintes, ca 1862-1865


English translation


The Short Story of Amédée Sudre (1845–1910), Bookbinder in Saintes (Charente-Maritime, formerly Charente-Inférieure)


Binding of Victor Hugo’s Les Misérables (Paris, Pagnerre, 1862, 10 volumes in-8°)


Sometimes, a small label tucked discreetly into a book is enough to revive a life long since forgotten.Such was the case with the recent acquisition of a copy of the most celebrated French novel of the nineteenth century: Les Misérables by Victor Hugo (Paris edition, Pagnerre, 1862, 10 volumes in-8°).


This beautifully bound set (which immediately caught our eye) was exceptionally well preserved, and we were delighted to discover that each of the ten volumes bore a small, unobtrusive label from a bookbinder hitherto unknown to us: A. SUDRE || Bookbinder || in SAINTES Measuring a mere 23 × 14 mm and printed in blue, here is a photographic reproduction:

Binder’s label affixed to the verso of the front cover of each of the ten volumes of the original Parisian edition of Les Misérables (Paris, Pagnerre, 1862).


From this modest slip of paper, we set out to uncover the identity of this craftsman — a name absent even from Fléty’s Dictionnaire des relieurs français (1988).


Amédée Sudre was born on July 2, 1845, in Saint-Palais-sur-Mer (Charente-Maritime, then part of Poitou-Charentes, France).He was the son of Guinot Sudre (1810–1848) and Marie Géneraud (1814–1848), both of whom tragically passed away within the same year, just months apart — perhaps the victims of an accident?


He married Florence Lardy in Saintes on June 18, 1872, by which time he was already established as a bookbinder.Exactly when he embarked on his craft remains uncertain.Might he have bound these volumes of Les Misérables upon their first publication in 1862?It is possible — though they may just as plausibly have been bound a few years later, between 1864 and 1865.


On August 16, 1884, Amédée Sudre was declared bankrupt (Journal des faillites et liquidations judiciaires de France, Paris, Larose et Forcel, 1884).


Later, according to our findings, his death was reported in the newspaper La Charente on January 8, 1910. He died at the age of sixty-four, residing at the time on Rue Chalais in Cognac.

What befell him during the intervening years remains largely unknown.


We learn from the specialized press that he filed for the separation of property from his wife on January 30, 1885.And in a notice published on July 15, 1904, we read that Amédée Sudre, then a 59-year-old bookbinder, announced a promise of marriage to Anna-Maria Steffen, a woman without profession, in Cognac.Thus, we may surmise that he continued his bookbinding trade after his bankruptcy and, most likely, set up anew in Cognac from 1904 until his death in 1910.


And that, alas, is all we know.


An ordinary life, in many ways: the life of a diligent man, left unrecorded by the grand narratives of history.All that remains are his bindings — rare enough on today’s antiquarian book market.

And what of his workmanship?The ten volumes of Les Misérables in our possession are sturdily bound in half red shagreen.The spines are decorated with raised bands and adorned with gilt fleurons (was Sudre himself responsible for the gilding?), the boards covered with red paper imitating buckram, the linings and endpapers in marbled paper, and the edges left untrimmed. In short, a binding both solid and decorative: honest work, not sumptuous, yet far from crude.The volumes are soundly constructed, having withstood the passage of some 160 years, and have come down to us today — in 2025 — in remarkable condition.


It is likely that one day we shall encounter other works bound by this conscientious artisan — one of those "honest workers," as we like to call those who, without ostentation or excess, do their work well and faithfully.


The world is full of forgotten honest workers.


Any new discovery concerning him will, of course, find its place here.


Added on April 22, 2025(information found online by our researcher friend Jean-Marc Barféty)

Funeral. — The civil funeral of citizen Sudre, bookbinder, of Place Chalais, who passed away during the night from Friday to Saturday, was held on Sunday at the Breuil cemetery.

A large number of friends of this humble worker accompanied the deceased to his final resting place.

At the graveside, Mr. E. Nouveau spoke on behalf of the Free Thought movement.

After presenting the ideas of tolerance and solidarity upheld by the free-thinkers, who seek the universal reign of social justice, Mr. E. Nouveau emphasized how much progress remains to be made in society to eradicate poverty and extinguish ignorance.

He recalled that Sudre believed in the survival of the spirit. He often invoked those he had loved, and they, it seems, responded to his call. His beliefs were respected, for, after all, the mystery of the afterlife remains to be clarified. Science has not yet spoken its final word.

And the free-thinkers who do not believe in the survival of the soul nonetheless allow every human being to keep their illusions.

However, they wage war against superstition; they seek to emancipate all minds so that humanity can devote all its efforts to conquering independence and mastering its own actions.

Then Mr. Nouveau praised Sudre as a tireless worker who died at his task. He was, he said, a noble soul, who, not content with working for himself and his companion, also raised two of his grandchildren: a twelve-year-old girl and an eleven-year-old boy.

I saw them sobbing beside their grandfather’s bed, then approaching their elderly grandmother, saying: "We do not want to leave you."

It was heartbreaking.

Later, the poor widow, also weeping, said to us: "These dear little ones, I love them so much; I had hoped to see them grow up by my side until they learned a trade, but I am without resources..."

Ah! Those who believe that all is for the best in the best of all possible worlds should have come with me into the mortuary chamber; they would have understood that there are many social gaps still to be filled.

Who, then, will take an interest in the fate of these two charming children?Who will prevent tomorrow’s painful separation?Who will preserve these two young beings in the affection of the one who loves them?Whoever does so, whoever it may be, will have well earned the gratitude of humanity.

And the good father Sudre will then be able to rest peacefully in his eternal sleep. His supreme wish will have been fulfilled.

Then a lady from the Society of Spiritists spoke moving words. And the emotional crowd filed past the family.

Published in La Constitution des Charentes, Republican Newspaper, issue of Sunday, January 2, and Wednesday, January 5, 1910.

His death is also announced a few lines later in the civil registry notices:

Amédée Sudre, bookbinder, aged 64, widower in his first marriage to Florence Lardy, and husband in second marriage to Anna-Marie Steffen, residing on Rue Chalais.


Bertrand Hugonnard-Roche

Published on April 18, 2025, for The Modern Bibliomaniac

 
 
 

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